Article – l’approche «patient-partenaire» élaborée au Québec

Le 14 mars dernier, pour la cinquième année consécutive, les Hôpitaux Robert Schuman (HRS) ont pris part à la Journée Mondiale du Rein, en organisant des workshops et des conférences à l’Hôpital Kirchberg autour du thème: «Clinique des Maladies du Rein: patient-partenaire et éducation thérapeutique». Invitée comme oratrice, Elisa Gélinas-Phaneuf, Chef de service en soins infirmiers spécialisés, et Développement de la pratique infirmière, venue du Québec a présenté son exposé portant sur l’intégration des patients partenaires dans le secteur de la néphrologie dans un centre hospitalier universitaire.

Céline Buldgen

Développé à partir des années 2000, le concept de patient-partenaire repose sur une logique de partage de savoirs complémentaires et de coconstruction: les professionnels sont les experts de la maladie, les patients sont les experts du vivre avec la maladie. Pour relever les défis de santé actuels en matière de maladie chronique (prévalence des maladies chroniques, non-compliance au traitement…), il importe que les professionnels de la santé puissent développer des attitudes favorisant le partenariat:

  • Reconnaissance du savoir expérientiel du patient et de ses proches.
  • Reconnaissance de leur capacité à développer une compétence de soins.
  • Reconnaissance des dimensions psychologiques, sociales, culturelles, voire spirituelle, du partenariat.
  • Nécessité de former le patient et ses proches pour les habiliter à devenir des acteurs à part entière du processus de soins.
  • Habilitation progressive du patient et de ses proches à poser des choix de santé libres et éclairés.
  • Nécessité de travailler dans le cadre d’une équipe pluridisciplinaire qui intègre le patient et ses proches, en collaboration étroite les uns avec les autres.
  • Reconnaissance que le patient et ses proches sont des acteurs incontournables dans la formation de leurs pairs et des futurs professionnels de la santé.
  • Participation du patient au processus de gestion afin de contribuer par l’identification et la mise en oeuvre de pistes d’amélioration pour la coordination des soins.

Source: Lebel et al (2013) et Médecins francophones du Canada (2010).

La vision patient-partenaire et ses implications

Le développement du partenariat avec le patient et sa famille et de la relation de confiance repose sur plusieurs principes:

Ecouter l’expression de leur expérience de santé.

  • Respecter le rythme du patient et de sa famille.
  • Accompagner le patient dans la prise de décision éclairée.
  • Respecter les décisions du patient/ famille.
  • Expliquer les implications d’un refus de traitement et les alternatives possibles.
  • Demander ce que le patient et sa famille comprennent/ressentent.
  • Expliquer simplement au patient et à sa famille toutes les informations médicales le concernant.
  • Comprendre et tenir compte des priorités, des enjeux et des limites du patient.
  • Identifier les attentes et les priorités du patient/famille.
  • Reconnaître l’expérientiel du patient/famille.

Sous la forme d’une anecdote, Elisa Gélinas-Phaneuf rappela la nécessité de toujours vérifier ce que le patient sait et comprend de sa pathologie: «A mes débuts comme jeune infirmière, je pris en charge un patient hospitalisé à la suite d’un infarctus du myocarde. Après avoir pris la peine de l’informer sur sa pathologie, il m’annonça qu’il était cardiologue. Je fus bien embêtée de lui avoir fait perdre son temps, ainsi que le mien, parce que je ne m’étais pas basée sur son savoir existant pour répondre à ses attentes spécifiques.»

Des bénéfices pour le patient ?

Dans le but d’identifier les bénéfices du modèle «Patient-partenaire», Elisa Gélinas-Phaneuf diffusa une vidéo montrant la communication «Le virage patient-partenaire: un dialogue pour faire équipe» présentée lors au Congrès de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, en 2012 au Palais des congrès de Montréal. On y voit Vincent Dumez, Directeur du Bureau facultative de l’expertise patient-partenaire (Faculté de médecine – Université de Montréal/ CHUM). «Hémophile depuis l’âge de 6 mois, Mr Dumez a été victime d’une co-infection VIH/ hépatite C par transfusion sanguine au début des années 80. À l’époque, plusieurs pays, ont été confrontés à ce scandale «du sang contaminé». Aujourd’hui, Vincent Dumez donne des conférences pour montrer l’importance d’un modèle de soins basé sur un partenariat avec les patients.», nous explique Elisa Gélinas-Phaneuf.

Exemples d’interpellation

Si on réagit avec vous de façon plus hiérarchique, quelle est l’implication dans votre vie de patient ?

Vincent Dumez: «Il faut comprendre que cet impact est assez terrible dans la vie des patients en général. On a toujours l’impression que patient est synonyme de passivité. La relation hiérarchique, comme on peut le voir dans le monde du travail ou dans la relation parents/enfants, entraine une inhibition de l’action. Il y a donc forcément une posture de soumission, surtout qu’il y a une hiérarchie du savoir, donc une hiérarchie qui est extrêmement forte surtout dans un contexte dans lequel les personnes sont vulnérables.»

Cela revient finalement à couper les ailes ?

Vincent Dumez: «A un certain moment, les élans, les volontés de savoir, les volontés d’aller plus loin vont juste s’arrêter. Parfois, il suffit de petites phrases, de non-dits, de comportements qui vont faire que subitement on sent que l’action va être plus compliquée, l’action va être plus difficile, et on s’arrête.»

Et quand on sent qu’il y a une relation de partenariat ?

Vincent Dumez: «L’infirmière est et restera quand même la première collaboratrice privilégiée du patient. Donc, c’est par l’infirmière que s’amorce et se pérennise dans la grande majorité des cas la relation de collaboration. L’infirmière, c’est le pont avec les familles, c’est aussi la transmission entre le milieu de soins et la maison. Et surtout, je pense que la voie d’avenir du métier d’infirmier, c’est le leadership qu’elles ont assumé à un niveau de collaboration le plus élevé, c’est-à-dire en assumant le processus d’apprentissage, le processus d’éducation. En tout cas, en l’intégrant et en le canalisant, et en faisant en sorte que le processus de soins devienne plus intelligent qu’un simple processus de soins curatif.»

Application dans la pratique clinique

Les 4 sphères que Madame GélinasPhaneuf nous a présentées et où l’on retrouve les patients-partenaires dans le système académique et de santé:

  • L’enseignement: présence dans les cours, panel, construction des activités d’apprentissage, cours pour les patients.
  • La gestion (assez récent): présence comité de gestion, aller chercher leur opinion dans les trajectoire de soins, comité des usagers.
  • La recherche: aller chercher leur opinion, participation projet-pilote, définition en partenariat des indicateurs de réussite.
  • La formation: formation des patients à leurs pairs, définition en partenariat des cours, le patient enseigne à sa famille.

De la théorie au terrain en néphrologie

Elisa Gélinas-Phaneuf est revenue sur la procédure mise en place par son équipe pour l’élaboration du projet pour développer davantage l’implication des patients-partenaire dans une clinique de néphroprotection dans un établissement de santé au Québec.

  1. Prise de connaissance des différents plans d’actions du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), de l’Accréditation Canada et de l’établissement de santé.

D’après l’Accréditation Canada, les normes de qualité HSO sont élaborées en partenariat avec des cliniciens, des responsables politiques, des patients et leurs familles.

Par ailleurs, les orientations ministérielles pour les personnes atteintes de maladie rénale recommandent de consolider les services de protection rénale au Québec en assurant la présence d’équipes interdisciplinaires de protection rénale dans tous les centres principaux de dialyse. Une équipe devrait être composée: du patient et des proches – aidants, de néphrologue, de soins infirmiers, (infirmière praticienne/ infirmière clinicienne/infirmière), de nutrition clinique, de pharmacie, de travail social et de psychologie.

Le ministère de la Santé et des Services Sociaux vient, quant à lui, de publier une norme imposant l’obtention d’un pourcentage de 25% des patients traités en dialyse péritonéale et en mode autonome (incluant la dialyse à domicile) pour 2019, et de 40% pour 2025.

Elisa Gélinas-Phaneuf s’en réjouit: «Cette nouvelle norme permettra de diminuer les coûts de l’hémodialyse, d’augmenter les bénéfices liés à l’autonomie des patients et enfin de répondre à la volonté de la population de rester à domicile. Il faut savoir que, par le passé, certains secteurs ont emboité le pas en ayant des actions concrètes réalisées dans les domaines de l’oncologie (infirmière-pivot), de la cardiologie et de la diabétologie.»

2. Discussion avec les équipes interdisciplinaires et les patients/familles en vue d’obtenir leur impression des équipes avant l’implémentation du projet:

  • J’aime quand le médecin et l’infirmière me connaissent et que je n’ai pas à répéter les mêmes choses?
  • J’aime quand j’ai accès facilement à un professionnel de santé lorsque j’ai des questions ou des problèmes.
  • J’aimerais faire mes prises de sang le jour-même.
  • J’aimerais voir plus souvent le même médecin et la même infirmière.
  • Je lis très peu la documentation remise, j’apprends mieux en discutant, avec les spécialistes et par les autres patients ayant la même maladie.
  • Je sens que j’ai appris par essais et par erreur.
  • Je fais confiance à l’infirmière pour des questions techniques, mais je fais confiance à mon néphrologue pour mon suivi.

3. Observation des équipes dans l’action, avec la réalisation d’une première trajectoire de soins de la clientèle adhérant au programme de protection rénale et de la clientèle orpheline, et d’une seconde trajectoire de soins de la clientèle au programme de dialyse péritonéale et de la greffe.

4. Rapport d’analyse des observations et présentation à l’équipe interdisciplinaire et aux patients/familles.

5. Choix des éléments à travailler ensemble.

6. Développement d’outils d’accompagnement clinique (dépliants, vidéos…) avec l’équipe et les patients.

7. Présence avec les équipes à toutes les étapes afin de les accompagner et faciliter le changement.

Les patients et leurs familles ont pu retirer des bénéfices après ce projet: ils ont une infirmière attitrée, ils font leur prise de sang la même journée, ils se sentent compétents, ils sont experts de leurs soins, ils ont confiance en leurs capacités et en celles des intervenants (nutritionnistes, infirmières, médecins, pharmaciennes). Le pouvoir est partagé entre l’équipe interdisciplinaire et le patient/famille…